Procès-verbal de l'ouverture de la châsse de Sainte Geneviève
du 1er frimaire an II (23 novembre 1793)




La Châsse de Sainte Geneviève se trouvait déposé depuis le 19 novembre 1793 à l'Hotel de la Monnaie. Le 1er frimaire an II (23 novembre 1793), on l'ouvrit pour inventaire qui donna lieu au procès-verbal suivant lu au Conseil de la Commune de Paris et reproduit dans le n°64 du Moniteur du 4 frimaire.
Ce texte montre à quel point les comités révolutionnaires tenaient à dénigrer tout ce qui tenait à la religion alors que l'opinion publique parisienne, dans sa majorité, tenait à sa sainte patronne.





«...Après nous être transportés dans un bâtiment situé à la Monnaie, après avoir reconnu que les scellés apposés sur la porte de la chambre où était enfermée la châsse de Sainte Geneviève, étaient sains et entiers;
«examen fait de la dite châsse, les susnommés ont reconnu que l'opinion publique avait été grandement trompée sur le prix exagéré auquel on a porté la valeur de cette châsse, dont la majeure partie des pierres sont fausses.
«Les pierres et perlers fines, ainsi que le métal d'or et d'argent, ont été estimés à 23830 livres.
«Nous avons trouvé dans cette châsse une caisse en forme de tombeau, couverte et collée en peau de mouton blanc, et garnie de bandes de fer dans toutes ses parties, de deux pieds neuf pouces de long, neuf pouces de large et quinze pouces de haut. «La dite caisse était couverte de coton, sur lequel nous avons trouvé une petite bourse en soie cramoisie, ayant d'un côté un aigle à double tête, et de l'autre deux aigles avec une fleur de lis au milieu, brodés en or; dans la bourse, il y a un petit morceau de voile de soie, dans lequel est enveloppé une espèce de terre.
«Dans le cercueil, il s'est trouvé: deux petites lanières en peau jaune; à l'une des extrémités, un paquet de toile blanche, attaché avec un bout de fil; dans ce paquet, vingt quatre autres petits paquets, les uns de toile, les autres de peau, et plusueus bourses de peau de différentes couleurs; une fiole lacrymatoire, bouchée avec du chiffon et contenant un peu de liqueur brunâtre desséchée (Note 1); une bande de parchemin sur laquelle est écrit: "Una pars casubae sancti Petri, principis apostolorum" (Note 2), et plusieurs autres inscriptions sur parchemin que nous n'avons pu déchiffrer.
«Ces vingt quatre paquets en contenaient beaucoup d'autres plus petits, renfermant de petites parties de terre, qu'il n'est pas possible de décrire.
«Un de ces paquets, en forme de bourse, contient une tête en émail noir, de la grandeur d'une petite noix, et d'une figure hideuse, dans laquelle est un papier contenant une partie d'ossements.
«Un autre paquet de toile blanche gommée contenait les ossements d'un cadavre et une tête sur laquelle il y avait plusieurs dépôts de sélénite ou plâtre cristallisé. Nous n'y avons pas trouvé les os du bassin. (Note 3)
«Nous avons aussi trouvé une bande de parchemin portant ces mots: "Hic jacet humatum corpus sanctae Genovefae"; plus un stylet de cuivre en forme de pelle d'un côté et pointu de l'autre (Note 4). Cet instrument servait aux anciens à tracer sur des tablettes enduites de cire.
«Cette châsse a été faite en 706 par le ci-devant saint Eloi (Note 5), orfèvre et évèque de Paris. Elle a été réparée par Nicole en 1614, orfèvre de Paris (Note 6). Il paraît que c'est à cette époque que l'in a substitué des pierres fausses en place des fines qui y étaient(Note 7).
«Le corps de la châsse est de bois de chêne très épais. Entre autres choses fort ridicules et extraordinaires, nous avons remarqué sur cette châsse une agathe gravée en creux représentant Marius Scaevola brulant sa main pour la punir d'avoir manqué le tyran Porsenna (Note 8). Au dessus est gravé "Constantia". Sur une autre pierre, un vil Ganymède enlevé par l'aigle de Jupiter pour servir de Giton au maître des dieux, et sur d'autres pierres des Venus, des Amours et autres attributs de la Fable. Tous les ornements qui couvrent la châsse sont des placages d'argent doré très minces.


Notes publiées dans l'ouvrage sur Sainte Geneviève de l'Abbé Vidieu:

Note 1: Il s'agit de sang ou de parfum séché.
Note 2: Précieuse relique donnée très anciennement à l'Eglise Saint-Pierre & Saint-Paul.
Note 3: Des portions d'ossements avaient été soustraites pour être distribuées à différentes églises. Note 4: Il s'agit plutôt d'une broche pour assujettir les cheveux à l'arrière de la tête.
Note 5: Eloi n'était pas évêque de Paris mais de Noyon.
Note 6: Cette châsse était celle de Bonard, restaurée en 1614 par Nicole.
Note 7: Il est probable que, faute de ressources suffisantes, on avait complété sciemment des pierres imitées aux pierres véritables.
Note 8: Parmi les pierres précieuses données pour l'ornement de la châsse, se trouvaient des intailles et peut-être des camées antiques. Il n'existait en effet aucun motif de faire graver des pierres pour en orner la châsse de Sainte Geneviève, et on n'y aurait certes pas fait figurer des sujets profanes.